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montagne, me dit-il, il ne faut pas causer, ce n’est ni commode ni prudent. Quand nous serons chez moi, je vous raconterai toute mon histoire, qui est assez drôle, et vous verrez ! À présent mettez vos pieds où je mets les miens, ou plutôt — je n’ai pas le pied grand — mettez mes espadrilles par-dessus vos bottines ; vous n’êtes pas chaussé comme il faudrait.

— Et tu iras pieds nus ?

— Je n’en marcherai que mieux !

Je refusai, il insista ; je m’obstinai et je le suivis, piqué un peu dans mon amour-propre. Je dois avouer pourtant que j’eus quelque mérite à m’en tirer sans accident. Nous escaladions à pic des talus pénibles pour descendre des ravins glissants. Nous traversions des neiges qui cachaient des cailloux polis roulant sous le pied. Le pire était de suivre des versans tourbeux sur des sentiers tracés, c’est-à-dire défoncés par les troupeaux.

Enfin nous débouchâmes tout à coup, après une dernière escalade des plus rudes, sur un bel herbage qui offrait une large voie ondulée entre de fraîches collines surmontées de contre-forts hardiment dessinés. Nous étions dans le cœur, ou pour mieux dire, dans les clavicules de la montagne, dans ces régions mystérieuses que renferment les grands escarpements, et où l’on se croirait dans les doux vallons d’une tranquille Arcadie, si çà et là une échancrure du rempart ne vous laissait apercevoir une dentelure de glacier à votre droite ou un abîme formidable à votre gauche.