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peinture, car la peinture donne une idée de la vie, et il me semble qu’un jour je pourrais devenir capable de représenter par le dessin et la couleur les êtres que j’aurai eu le temps de bien voir et de bien comprendre ; mais l’empaillage m’est devenu odieux. Vivre au milieu de ces cadavres, disséquer ces tristes chairs mortes, faire le métier d’embaumeur, je ne peux plus, il me semble que je bois la mort et que je me momifie moi-même. Vous admirez la belle tournure et le lustre que je sais donner à ces oiseaux. Pour moi, ce sont des spectres qui me poursuivent dans mes rêves et me redemandent la vie que je ne puis leur donner et quand je passe le soir dans la galerie vitrée, il me semble les entendre frapper le verre de leurs becs pour me réclamer la liberté de leurs ailes, que j’ai liées avec mes fils de fer et de laiton. Enfin ces fantômes me font horreur, et je me fais horreur à moi-même de les créer. Je n’ai pourtant pas à me reprocher leur mort, car je n’ai jamais tué qu’un oiseau, un seul, pour le manger, pressé que j’étais par la faim. Je ne me le suis jamais pardonné, et j’ai juré de n’en pas tuer un second ; mais il n’en est pas moins vrai que je vis de la mort de tous ceux que je prépare, et cette idée me trouble et me poursuit comme un remords. Et puis,… et puis… il y a encore autre chose que je n’ose pas, que je ne saurais peut-être pas vous dire.

— Qu’est-ce qu’il y a encore ? demanda le baron ; il faut me dire tout comme à ton meilleur ami.

— Eh bien ! repartit Clopinet, il y a sur la mer et sur ses rivages des voix qui me parlent et que per-