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la crainte du danger : c’était de vivre libre et maître de lui-même dans la nature. Il ne connaissait pas ce mot-là, la nature, mais il se sentait épris de la vie sauvage et comme orgueilleux de résister à la tentation de retourner au repos des champs et aux douceurs de la famille. Il resta donc dans son nid d’oiseau, s’imaginant que, puisque les oiseaux nichaient au-dessus de lui, c’est qu’ils en savaient plus long que les hommes et avaient l’instinct de connaître que la montagne était solide.

Il passa là tout l’été, s’approvisionnant tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, ne se faisant connaître nulle part, s’habituant de plus en plus à ne vivre que des produits de la mer et de fruits sauvages, afin d’éviter d’être l’esclave de son ventre. Il devint peu à peu si sobre que la gourmandise ne l’attira plus du côté de la campagne. Il réussit à rencontrer les marchands plumassiers en tournée et à s’aboucher avec eux sans témoins. Il eut assez de raisonnement pour ne pas montrer trop d’exigence, afin d’établir des rapports pour l’avenir. Il se contenta d’un gros écu pour chaque plume, et, comme il en avait recueilli une cinquantaine, il lui fut compté en beaux louis d’or trois cents livres, somme énorme pour ce temps-là, et qu’un petit paysan de son âge n’avait certes jamais gagnée.

Quand il se vit à la tête d’une telle fortune, il résolut d’aller la porter à ses parents ; mais auparavant il souhaita revoir son oncle Laquille, et, aux approches de l’hiver, il se mit en route pour Trouville. Comme il voulait se présenter convenablement