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D’abord Clopinet fut un peu ému de voir tous ces grands yeux rouges qui le regardaient. Les mâles étaient bien là une cinquantaine, gros comme de jeunes dindons, armés de longs becs et de griffes pointues. Si tous se fussent mis après l’enfant curieux, ils eussent pu lui faire un mauvais parti ; mais ils le contemplèrent d’un air de stupéfaction, et, ne le voyant pas remuer, ils ne s’occupèrent plus que de se quereller entre eux à coups d’aile et sans se blesser, puis ils se mirent à se gratter, à s’étendre, même à bâiller comme des personnes fatiguées ; enfin, chacun cherchant un endroit commode, tous s’endormirent sur une patte au lever du soleil. Alors Clopinet se leva doucement et fit sa récolte de plumes sans les déranger, après quoi il redescendit, sagement résolu à ne pas les dégoûter de leur campement et à ne plus prendre les œufs des femelles.

Il y retourna la nuit suivante avant que les mâles fussent revenus de leur chasse nocturne. Il n’éveilla pas les couveuses et mit du pain devant leurs nids, pensant qu’elles le trouveraient bon et lui en sauraient gré. Il ne se trompait pas, bien que ce fût une idée d’enfant. Presque tous les oiseaux aiment le pain, quelque différente que soit leur nourriture, et le matin suivant il vit que le sien avait été mangé. Il continua ainsi, et bientôt tous les bihoreaux, mâles et femelles, furent habitués à le voir, se sauvèrent peu loin à son approche, enfin ne se sauvèrent plus du tout. Il en était né de jeunes qui, le connaissant avant de connaître la peur de l’homme, se trouvèrent si bien apprivoisés qu’ils venaient à lui, se cou-