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fin, depuis qu’il avait commerce avec les esprits, il n’avait plus aucune peur de la vie sauvage.

Toutes ces réflexions faîtes, il résolut de parcourir ce revers de la dune et de s’y établir pour toujours. — Pour toujours ! Vous allez me dire que ce n’était pas possible, que l’hiver viendrait, que les deux ou trois écus de Clopinet s’épuiseraient vite. Puis, eût-il eu beaucoup d’argent, comment faire pour manger et s’habiller dans un désert où il ne pousse que des herbes dont les troupeaux mêmes ne veulent pas ? Il y avait bien la mer et ses inépuisables coquillages, mais on s’en lasse, surtout quand on n’a à boire que de l’eau qui n’est pas bien bonne. — Je vous répondrai que Clopinet n’était pas un enfant pareil à ceux qui à douze ans savent lire et écrire. Il ne savait rien du tout, il ne prévoyait rien, il n’avait jamais réfléchi, peut-être n’avait-il même pas l’habitude de penser. Sa mère avait toujours songé à tout pour lui, et malgré lui il s’imaginait qu’elle était toujours là, à deux pas, prête à lui apporter sa soupe et à le border dans son lit. Ce n’est que par moments qu’il se souvenait d’être seul pour toujours ; mais, à force de se répéter ce mot-là, il s’aperçut qu’il n’y comprenait rien et que l’avenir ne signifiait pour lui qu’une chose : échapper au tailleur.

Il s’enfonça dans les déchirures de la dune. Auprès des Vaches-Noires, elle était haute de plus de cent mètres et toute coupée à pic, très-belle, très-sombre, avec des parois bigarrées de rouge, de gris et de brun-olive, qui lui donnaient l’air d’une roche bien solide. C’est par là qu’il aurait voulu se nicher,