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faire penser le contraire, et, si tu reviens chez nous, tu es bien sûr que le père te corrigera et te reconduira lui-même ce soir à Dives, où le tailleur, qui ne demeure nulle part, doit, à ce qu’il a dit, passer deux jours. La mère ne pourra pas te défendre, elle ne fera que pleurer. Si tu m’en crois, tu iras trouver ton oncle Laquille, qui demeure à Trouville. Tu lui diras de te faire entrer mousse dans la marine, et tu seras content, puisque c’est ton idée.

— Mais on ne voudra pas de moi pour marin, répondit Clopinet tout abattu. Papa l’a dit, un boiteux n’est pas un homme, on n’en peut faire qu’un tailleur.

— Tu n’es pas si boiteux que ça, puisque tu as couru toute la nuit sans sabots dans ce vilain endroit qu’on appelle le désert. Est-ce que tu as attrapé du mal ?

— Nenni, dit Clopinet, seulement je suis plus fatigué de ma jambe droite que de la gauche.

— Ce n’est rien, tu n’as pas besoin d’en parler. Çà, que veux-tu faire ? Si le père était là, il me commanderait de te reconduire bon gré mal gré au tailleur, et je ne le ferais point avec plaisir, car je sais ce qui t’attend chez lui ; mais il n’y est pas, et, si tu veux, je vais te conduire à Trouville. Ce n’est pas loin d’ici, et je serai encore revenu chez nous ce soir.

— Allons à Trouville, s’écria Clopinet. Ah ! mon François, tu me sauves la vie ! Puisque la mère n’est pas malade de chagrin, puisque le père n’a pas de chagrin du tout, je ne demande qu’à m’en aller sur la mer, qui me veut bien et qui n’a pas été méchante pour moi.