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la mère, elle pleurera moins quand elle ne le verra plus. Elle en a pour une heure à empaqueter ses nippes ; vous m’enverrez ça demain à Dives, où je vais passer trois jours. Çà, petit, tenez-vous coi, et ne criez point, ou avec mes bons ciseaux, que vous voyez là pendus à ma ceinture, je vous coupe la langue.

— Traitez-le avec douceur, dit le père ; il n’est point méchant et fera toutes vos volontés.

— C’est bon, c’est bon, reprit le tailleur, ne soyez point en peine de lui, j’en fais mon affaire. En route, en route ! ne vous attendrissez pas, ou je renonce à le prendre.

— Souffrez au moins que je l’embrasse, dit le père Doucy ; un enfant qui s’en va…

— Eh ! vous le reverrez ; il reviendra travailler avec moi chez vous. Bonjour, bonjour, point de scène, point de pleurs, ou je vous le laisse. Pour ce que vous payez, je n’y tiens déjà pas tant.

En parlant ainsi, Tire-à-gauche franchit la porte de la maison et se mit à courir, avec Clopinet sur son dos, à travers les pommiers. L’enfant essaya de crier ; mais il avait la gorge serrée et ses dents claquaient de peur. Il se retourna avec angoisse vers sa maison. Ce n’était pas tant d’obéir qui le chagrinait, que de ne pouvoir embrasser ses parents et leur dire adieu ; c’est cette cruauté-là qui lui semblait impossible à comprendre. Il vit sa mère qui accourait sur la porte et qui lui tendait les bras. Il réussit à s’écrier : Maman ! au milieu d’un sanglot étouffé ; elle fit quelques pas comme si elle eût voulu le rattraper ;