Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Combien donc est-ce que vous donneriez ? dit le tailleur en regardant Clopinet du coin de l’œil, d’un air un peu dédaigneux, comme pour déprécier d’avance la marchandise.

Pendant que le paysan et le tailleur discutaient à voix basse les conditions du marché, et se tenaient à deux livres tournois de différence, Clopinet, tout interdit, car jamais il n’avait eu la moindre envie de coudre et de tailler, essayait de regarder tranquillement le patron auquel on était en train de le vendre. C’était un petit homme bossu des deux épaules, louche des deux yeux, boiteux des deux jambes. Si on eût pu le détortiller et l’étendre sur une table, il eût été grand ; mais il était si cassé et si soudé aux angles que, quand il marchait, il n’était pas plus haut que Clopinet lui-même, qui avait alors douze ans et n’était pas très-grand pour son âge. Tire-à-gauche, lui, pouvait bien avoir la cinquantaine ; sa tête, énorme en longueur, jaune et chauve, ressemblait à un gros concombre. Il était sordidement vêtu des guenilles qui n’avaient pu resservir dans les vêtements de ses pratiques et que l’on eût jetées aux fumiers, s’il ne les eût réclamées ; mais ce qu’il y avait en lui de plus horrible, c’était ses pieds et ses mains, d’une longueur démesurée et très-agiles, car, avec ses bras en fuseau et ses jambes en équerre, il travaillait et marchait plus vite qu’aucun autre. L’œil pouvait à peine suivre l’éclair de sa grosse aiguille quand il cousait et le tourbillon de poussière qu’il soulevait en rasant la terre pour courir.

Clopinet avait vu plusieurs fois Tire-à-gauche, et