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le manoir. Je grimpai, sautant de marche en marche jusqu’à ma chambre, et je me hâtai de prendre le breuvage qui devait me rendre femme et belle comme par le passé. Hélas ! j’eus beau ajouter à la vertu du breuvage celles des paroles magiques les plus mystérieuses et me frotter avec les onguents les plus puissants, cette malheureuse main ne put repousser. Elle demeura à l’état de patte de grenouille, et comme mon mari désolé approchait de ma chambre, disant que c’était là qu’il voulait se laisser mourir de chagrin, je n’eus que le temps de m’envelopper la moitié du corps avec mon manteau de velours pour cacher cette malheureuse patte.

» En me retrouvant, mon mari faillit étouffer de joie ; il me prit dans ses bras en versant des pleurs et en m’accablant de questions. Il supposait qu’un méchant démon m’avait enlevée à sa tendresse, et il voulait savoir comment je lui étais rendue. Je fus forcée d’inventer une histoire et de me dérober à ses embrassements, dans la crainte de lui laisser voir ma patte ; mais je pensai avec douleur que tout serait inutile pour lui dérober mon secret, et que bientôt il découvrirait la funeste vérité. Je dus prendre un parti extrême, un parti effroyable, celui de faire disparaître celui que j’aimais plus que ma vie.

Marguerite épouvantée voulut se lever et s’enfuir loin de cette odieuse Ranaïde, mais elle se sentit retenue par un charme, et la grenouille reprit son récit en ces termes :

— Sache, ma pauvre enfant, qu’il ne dépendait pas