Page:Sand - Contes d’une grand’mère, 1906.djvu/103

Cette page n’a pas encore été corrigée

sa trompe, tandis que les Indiens, qui semblaient être bien réellement les esclaves de ce monarque, balançaient au-dessus de sa tête des parasols rouge et or, j’ai fait un effort d’esprit pour saisir sa pensée dans son œil tranquille, et tout à coup il m’a semblé qu’une série d’existences passées, insaisissables à la mémoire de l’homme, venait de rentrer dans la mienne.

— Comment ! vous croyez… ?

— Je crois que certains animaux nous semblent pensifs et absorbés parce qu’ils se souviennent. Où serait l’erreur de la Providence ? L’homme oublie, parce qu’il a trop à faire pour que le souvenir soit bon. Il termine la série des animaux contemplatifs, il pense réellement et cesse de rêver. À peine né, il devient la proie de la loi du progrès, l’esclave de la loi du travail. Il faut qu’il rompe avec les images du passé pour se porter tout entier vers la conception de l’avenir. La loi qui lui a fait cette destinée ne serait pas juste, si elle ne lui retirait pas la faculté de regarder en arrière et de perdre son énergie dans de vains regrets et de stériles comparaisons.