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d’en adopter un aujourd’hui me jette dans une pareille agitation ? C’est pourtant la première fois de ma vie que ce sentiment-là se révèle à mon cœur, et voilà que dans un seul jour l’admiration m’attache à l’un, la sympathie à l’autre, la pitié à un troisième ! Bertoni, Beppo, Angiolina ! me voilà en famille tout d’un coup, moi qui plaignais les embarras des parents, et qui remerciais Dieu d’être obligé par état au repos de la solitude ! Est-ce la quantité et l’excellence de la musique que j’ai entendue aujourd’hui qui me donne une exaltation d’idées si nouvelle ?… C’est plutôt ce délicieux café à la vénitienne dont j’ai pris deux tasses au lieu d’une, par pure gourmandise !… J’ai eu la tête si bien montée tout le jour, que je n’ai presque pas pensé à mon volkameria, desséché pourtant par la faute de Pierre !

« Il mio cor si divide… »

Allons, voilà encore cette maudite phrase qui me revient ! La peste soit de ma mémoire !… Que ferai-je pour dormir ?… Quatre heures du matin, c’est inouï !… J’en ferai une maladie ! »

Une idée lumineuse vint enfin au secours du bon chanoine ; il se leva, prit son écritoire, et résolut de travailler à ce fameux livre entrepris depuis si longtemps, et non encore commencé. Il lui fallait consulter le Dictionnaire du droit canonique pour se remettre dans son sujet ; il n’en eut pas lu deux pages que ses idées s’embrouillèrent, ses yeux s’appesantirent, le livre coula doucement de l’édredon sur le tapis, la bougie s’éteignit à un soupir de béatitude somnolente exhalé de la robuste poitrine du saint homme, et il dormit enfin du sommeil du juste jusqu’à dix heures du matin.

Hélas ! que son réveil fut amer, lorsque, d’une main engourdie et nonchalante, il ouvrit le billet suivant, dé-