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trouvé ce trésor sur le grand chemin, le chanoine rêvait déjà de le faire connaître au monde, de le lancer, d’aider à sa fortune et à sa gloire. Il s’abandonnait à tous les élans d’une affection paternelle et d’un orgueil bienveillant, et sa conscience ne devait pas s’en effrayer ; car l’idée d’un amour vicieux et immonde, comme celui qu’on avait attribué à Gravina pour Métastase, le chanoine ne savait même pas ce que c’était. Il n’y pensait pas, il n’y croyait même pas, et cet ordre d’idées paraissait à son esprit chaste et droit une abominable et bizarre supposition des méchantes langues.

Personne n’eût cru à cette pureté enfantine dans l’imagination du chanoine, homme d’esprit un peu railleur, très-facétieux, plein de finesse et de pénétration en tout ce qui avait rapport à la vie sociale. Il y avait pourtant tout un monde d’idées, d’instincts et de sentiments qui lui était inconnu. Il s’était endormi dans la joie de son cœur, en faisant mille projets pour son jeune protégé, en se promettant pour lui-même de passer sa vie dans les plus saintes délices musicales, et en s’attendrissant à l’idée de cultiver, en les tempérant un peu, les vertus qui brillaient dans cette âme généreuse et ardente ; mais réveillé à toutes les heures de la nuit par une émotion singulière, poursuivi par l’image de cet enfant merveilleux, tantôt inquiet et effrayé à l’idée de le voir se soustraire à sa tendresse déjà un peu jalouse, tantôt impatient d’être au lendemain pour lui réitérer sérieusement des offres, des promesses et des prières qu’il avait eu l’air d’écouter en riant, le chanoine, étonné de ce qui se passait en lui, se persuada mille choses autres que la vérité.

« J’étais donc destiné par la nature à avoir beaucoup d’enfants et à les aimer avec passion, se demandait-il avec une honnête simplicité, puisque la seule pensée