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consuelo.

est confié, mon révérend. S’il est mal soigné loin de vos yeux, s’il languit, s’il meurt, vous vous le reprocherez éternellement !

— Que dis-tu là, que cet enfant m’est confié ? en ai-je accepté le dépôt ? et le caprice ou la fourberie d’autrui nous imposent-ils de pareils devoirs ? Tu t’exaltes, mon enfant, et tu déraisonnes.

— Non, mon cher monsieur le chanoine, reprit Consuelo en s’animant de plus en plus ; je ne déraisonne pas. La méchante mère qui abandonne ici son enfant n’a aucun droit et ne peut rien vous imposer. Mais celui qui a droit de vous commander, celui qui dispose des destinées de l’enfant naissant, celui envers qui vous serez éternellement responsable, c’est Dieu. Oui, c’est Dieu qui a eu des vues particulières de miséricorde sur cette innocente petite créature en inspirant à sa mère la pensée hardie de vous le confier. C’est lui qui, par un bizarre concours de circonstances, le fait entrer dans votre maison malgré vous, et le pousse dans vos bras en dépit de toute votre prudence. Ah ! monsieur le chanoine, rappelez-vous l’exemple de saint Vincent de Paul, qui allait ramassant sur les marches des maisons les pauvres orphelins abandonnés, et ne rejetez pas celui que la Providence apporte dans votre sein. Je crois bien que si vous le faisiez, cela vous porterait malheur ; et le monde, qui a une sorte d’instinct de justice dans sa méchanceté même, dirait, avec une apparence de vérité, que vous avez eu des raisons pour l’éloigner de vous. Au lieu que si vous le gardez, on ne vous en supposera pas d’autres que les véritables : votre miséricorde et votre charité.

— Tu ne sais pas, dit le chanoine ébranlé et incertain, ce que c’est que le monde ! Tu es un enfant sauvage de droiture et de vertu. Tu ne sais pas surtout ce que c’est que le clergé, et Brigide, la méchante Brigide, savait