Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
73
consuelo.

Il est bon, lui ; la nature l’a fait noble et généreux. Mais cette fille le rend égoïste. Elle refoule les bons mouvements de son âme ; et s’il la garde, il deviendra dur et inhumain comme elle. Pardonnez-moi, monsieur le chanoine, si je vous parle ainsi. Vous m’avez fait tant chanter, et vous m’avez tant poussé à l’exaltation en manifestant la vôtre, que je suis peut-être un peu hors de moi. Si j’éprouve une sorte d’ivresse, c’est votre faute ; mais soyez sûr que la vérité parle dans ces ivresses-là, parce qu’elles sont nobles et développent en nous ce que nous avons de meilleur. Elles nous mettent le cœur sur les lèvres, et c’est mon cœur qui vous parle en ce moment. Quand je serai calme, je serai plus respectueux et non plus sincère. Croyez-moi, je ne veux pas de votre fortune, je n’en ai aucune envie, aucun besoin. Quand je voudrai, j’en aurai plus que vous, et la vie d’artiste est vouée à tant de hasards, que vous me survivrez peut-être. Ce sera peut-être à moi de vous inscrire sur mon testament, en reconnaissance de ce que vous avez voulu faire le vôtre en ma faveur. Demain nous partons pour ne vous revoir peut-être jamais ; mais nous partirons le cœur plein de joie, de respect, d’estime et de reconnaissance pour vous si vous renvoyez madame Brigide, à qui je demande bien pardon de ma façon de penser. »

Consuelo parlait avec tant de feu, et la franchise de son caractère se peignait si vivement dans tous ses traits, que le chanoine en fut frappé comme d’un éclair.

« Va-t’en, Brigide, dit-il à sa gouvernante d’un air digne et ferme. La vérité parle par la bouche des enfants, et cet enfant-là a quelque chose de grand dans l’esprit. Va-t’en, car tu m’as fait faire ce matin une mauvaise action, et tu m’en ferais faire d’autres, parce que je suis faible et parfois craintif. Va-t’en, parce que tu me rends malheureux, et que cela ne peut pas te faire faire ton