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consuelo.

— Oui, oui, raillez, répliqua-t-elle ; mais préparez-vous à ne plus me revoir. Je quitte de ce pas une maison où je ne puis établir aucun ordre et aucune décence. Je voulais vous empêcher de faire des folies, de gaspiller votre bien, de dégrader votre rang ; mais je vois que c’était en vain. Votre caractère faible et votre mauvaise étoile vous poussent à votre perte, et les premiers saltimbanques qui vous tombent sous la main vous tournent si bien la tête, que vous êtes tout prêt à vous laisser dévaliser par eux. Allons, allons, il y a longtemps que le chanoine Herbert me demande à son service et m’offre de plus beaux avantages que ceux que vous me faites. Je suis lasse de tout ce que je vois ici. Faites-moi mon compte. Je ne passerai pas la nuit sous votre toit.

— En sommes-nous là ? dit le chanoine avec calme. Eh bien, Brigide, tu me fais grand plaisir, et puisses-tu ne pas te raviser. Je n’ai jamais chassé personne, et je crois que j’aurais le diable à mon service que je ne le mettrais pas dehors, tant je suis débonnaire ; mais si le diable me quittait, je lui souhaiterais un bon voyage et chanterais un Magnificat à son départ. Va faire ton paquet, Brigide ; et quant à tes comptes, fais-les toi-même, mon enfant. Tout ce que tu voudras, tout ce que je possède, si tu veux, pourvu que tu t’en ailles bien vite.

— Eh ! monsieur le chanoine, dit Haydn tout ému de cette scène domestique, vous regretterez une vieille servante qui vous paraît fort attachée…

— Elle est attachée à mon bénéfice, répondit le chanoine, et moi, je ne regretterai que son café.

— Vous vous habituerez à vous passer de bon café, monsieur le chanoine, dit l’austère Consuelo avec fermeté, et vous ferez bien. Tais-toi, Joseph, et ne parle pas pour elle. Je veux le dire devant elle, moi, parce que c’est la vérité. Elle est méchante et elle est nuisible à son maître.