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consuelo.

pure fiancée d’Albert reçut et enveloppa l’enfant d’Anzoleto et de Corilla.

« Allons, madame, consolez-vous, dit la pauvre soubrette avec un accent de bonté simple et sincère : vous êtes heureusement accouchée, et vous avez une belle petite fille.

— Fille ou garçon, je ne souffre plus, répondit la Corilla en se relevant sur son coude, sans regarder son enfant ; donne-moi un grand verre de vin. »

Joseph venait d’en apporter du prieuré, et du meilleur. Le chanoine s’était exécuté généreusement, et bientôt la malade eut à discrétion tout ce que son état réclamait. Corilla souleva d’une main ferme le gobelet d’argent qu’on lui présentait, et le vida avec l’aplomb d’une vivandière ; puis, se jetant sur les bons coussins du chanoine, elle s’y endormit aussitôt avec la profonde insouciance que donnent un corps de fer et une âme de glace. Pendant son sommeil, l’enfant fut convenablement emmailloté, et Consuelo alla chercher dans la prairie voisine une brebis qui lui servit de première nourrice. Lorsque la mère s’éveilla, elle se fit soulever par la Sofia ; et, ayant encore avalé un verre de vin, elle se recueillit un instant ; Consuelo, tenant l’enfant dans ses bras, attendait le réveil de la tendresse maternelle : Corilla avait bien autre chose en tête. Elle posa sa voix en ut majeur, et fit gravement une gamme de deux octaves. Alors elle frappa ses mains l’une dans l’autre, en s’écriant :

« Brava, Corilla ! tu n’as rien perdu de ta voix, et tu peux faire des enfants tant qu’il te plaira ! »

Puis elle éclata de rire, embrassa la Sofia, et lui mit au doigt un diamant qu’elle avait au sien, en lui disant :

« C’est pour te consoler des injures que je t’ai dites. Où est mon petit singe ? Ah ! mon Dieu, s’écria-t-elle en regardant son enfant, il est blond, il lui ressemble ! Tant