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consuelo.

née, son voyage, le chanoine et sa gouvernante, et jusqu’à l’enfant qu’elle allait mettre au monde. Elle brutalisait sa suivante, et achevait de la rendre incapable de tout service intelligent. Enfin elle s’emporta contre cette pauvre fille, au point de lui dire :

« Va, je te soignerai de même, quand tu passeras par la même épreuve ; car toi aussi tu es grosse, je le sais fort bien, et je t’enverrai accoucher à l’hôpital. Ôte-toi de devant mes yeux : tu me gênes et tu m’irrites. »

La Sofia, furieuse et désolée, s’en alla pleurer dehors ; et Consuelo, restée seule avec la maîtresse d’Anzoleto et de Zustiniani, essaya de la calmer et de la secourir. Au milieu de ses tourments et de ses fureurs, la Corilla conservait une sorte de courage brutal et de force sauvage qui dévoilaient toute l’impiété de sa nature fougueuse et robuste. Lorsqu’elle éprouvait un instant de répit, elle redevenait stoïque et même enjouée.

« Parbleu ! dit-elle tout d’un coup à Consuelo, qu’elle ne reconnaissait pas du tout, ne l’ayant jamais vue que de loin ou sur la scène dans des costumes bien différents de celui qu’elle portait en cet instant, voilà une belle aventure, et bien des gens ne voudront pas me croire quand je leur dirai que je suis accouchée dans un cabaret avec un médecin de ton espèce ; car tu m’as l’air d’un petit zingaro, toi, avec ta mine brune et ton grand œil noir. Qui es-tu ? d’où sors-tu ? comment te trouves-tu ici, et pourquoi me sers-tu ? Ah ! tiens, ne me le dis pas, je ne pourrais pas t’entendre, je souffre trop. Ah ! misera, me ! Pourvu que je ne meure pas ! Oh non ! je ne mourrai pas ! je ne veux pas mourir ! Zingaro, tu ne m’abandonnes pas ? reste là, reste là, ne me laisse pas mourir, entends-tu bien ? »

Et les cris recommençaient, entrecoupés de nouveaux blasphèmes.