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de son hôte. Il y avait longtemps que l’harmonie des sons lui avait semblé répondre d’une certaine manière à l’harmonie des couleurs ; mais l’harmonie de ces harmonies, il lui sembla que c’était le parfum. En cet instant, plongée dans une vague et douce rêverie, elle s’imaginait entendre une voix sortir de chacune de ces corolles charmantes, et lui raconter les mystères de la poésie dans une langue jusqu’alors inconnue pour elle. La rose lui disait ses ardentes amours, le lis sa chasteté céleste ; le magnolia superbe l’entretenait des pures jouissances d’une sainte fierté ; et la mignonne hépatique lui racontait tout bas les délices de la vie simple et cachée. Certaines fleurs avaient de fortes voix qui disaient d’un accent large et puissant : « Je suis belle et je règne. » D’autres qui murmuraient avec des sons à peine saisissables, mais d’une douceur infinie et d’un charme pénétrant : « Je suis petite et je suis aimée, » disaient-elles ; et toutes ensemble se balançaient en mesure au vent du matin, unissant leurs voix dans un chœur aérien qui se perdait peu à peu dans les herbes émues, et sous les feuillages avides d’en recueillir le sens mystérieux.

Tout à coup, au milieu de ces harmonies idéales et de cette contemplation délicieuse, Consuelo entendit des cris aigus, horribles et bien douloureusement humains, partir de derrière les massifs d’arbres qui lui cachaient le mur d’enceinte. À ces cris, qui se perdirent dans le silence de la campagne, succéda le roulement d’une voiture, puis la voiture parut s’arrêter, et l’on frappa à grands coups sur la grille de fer qui fermait le jardin de ce côté-là. Mais, soit que tout le monde fût encore endormi dans la maison, soit que personne ne voulût répondre, on frappa vainement à plusieurs reprises, et les cris perçants d’une voix de femme, entrecoupés par les jurements énergiques d’une voix d’homme qui appelait au