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consuelo.

Ce compliment fit rougir et trembler Consuelo, qui se crut reconnue pour une femme ; mais elle se remit bien vite, lorsque le chanoine ajouta naïvement :

« Oui, je regrette de n’avoir pas d’enfants, car le ciel m’eût peut-être donné un fils tel que toi, et c’eût été le bonheur de ma vie… quand même Brigide eût été la mère. Mais dis-moi, mon ami, que penses-tu de ce Sébastien Bach dont les compositions fanatisent les savants d’aujourd’hui ? Crois-tu aussi que ce soit un génie prodigieux ? J’ai là un gros livre de ses œuvres que j’ai rassemblé et fait relier, parce qu’il faut avoir de tout… Et puis, c’est peut-être beau en effet… Mais c’est d’une difficulté extrême à lire, et je t’avoue que le premier essai m’ayant rebuté, j’ai eu la paresse de ne pas m’y remettre… D’ailleurs, j’ai si peu de temps à moi ! Je ne fais de musique que dans de rares instants, dérobés à des soins plus sérieux… De ce que tu m’as vu très-occupé de la gouverne de mon petit ménage, il ne faut pas conclure que je sois un homme libre et heureux. Je suis esclave, au contraire, d’un travail énorme, effrayant, que je me suis imposé. Je fais un livre auquel je travaille depuis trente ans, et qu’un autre n’eût pas fait en soixante ; un livre qui demande des études incroyables, des veilles, une patience à toute épreuve et les plus profondes réflexions. Aussi je pense que ce livre-là fera quelque bruit !

— Mais il est bientôt fini ? demanda Consuelo.

— Pas encore, pas encore ! répondit le chanoine désireux de se dissimuler à lui-même qu’il ne l’avait pas commencé. Nous disions donc que la musique de ce Bach est terriblement difficile, et que, quant à moi, elle me semble bizarre.

— Je pense cependant que si vous surmontiez votre