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consuelo.

mener une vie paisible, retirée, un peu aisée, n’avoir pas les préoccupations de la misère ; enfin j’aimerais à végéter dans un état de régularité passive, dans une sorte de dépendance même, pourvu que mon intelligence fût libre, et que je n’eusse d’autre soin, d’autre devoir, d’autre souci que de faire de la musique.

— Eh bien, mon camarade, tu ferais de la musique tranquille, à force de la faire tranquillement.

— Eh ! pourquoi serait-elle mauvaise ? Quoi de plus beau que le calme ! Les cieux sont calmes, la lune est calme, ces fleurs, dont vous chérissez l’attitude paisible…

— Leur immobilité ne me touche que parce qu’elle succède aux ondulations que la brise vient de leur imprimer. La pureté du ciel ne nous frappe que parce que nous l’avons vu maintes fois sillonné par l’orage. Enfin, la lune n’est jamais plus sublime que lorsqu’elle brille au milieu des sombres nuées qui se pressent autour d’elle. Est-ce que le repos sans la fatigue peut avoir de véritables douceurs ? Ce n’est même plus le repos qu’un état d’immobilité permanente. C’est le néant, c’est la mort. Ah ! si tu avais habité comme moi le château des Géants durant des mois entiers, tu saurais que la tranquillité n’est pas la vie !

— Mais qu’appelez-vous de la musique tranquille ?

— De la musique trop correcte et trop froide. Prends garde d’en faire, si tu fuis la fatigue et les peines de ce monde. »

En parlant ainsi, ils s’étaient avancés jusqu’au pied des murs du prieuré. Une eau cristalline jaillissait d’un globe de marbre surmonté d’une croix dorée, et retombait, de cuvette en cuvette, jusque dans une grande conque de granit où frétillait une quantité de ces jolis petits poissons rouges dont s’amusent les enfants. Consuelo et Beppo, fort enfants eux-mêmes, se plaisaient