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contempla sans terreur. Elle eût cru outrager cette dépouille chère et sacrée par un sentiment qui serait si cruel aux morts s’ils le voyaient. Et qui nous assure que leur esprit, détaché de leur cadavre, ne le voie pas et n’en ressente pas une amère douleur ? La peur des morts est une abominable faiblesse ; c’est la plus commune et la plus barbare des profanations. Les mères ne la connaissent pas.

Albert était couché sur un lit de brocart, écussonné par les quatre coins aux armes de la famille. Sa tête reposait sur un coussin de velours noir semé de larmes d’argent, et un linceul pareil était drapé autour de lui en guise de rideaux. Une triple rangée de cierges éclairait son pâle visage, qui était resté si calme, si pur et si mâle qu’on eût dit qu’il dormait paisiblement. On avait revêtu le dernier des Rudolstadt, suivant un usage en vigueur dans cette famille, de l’antique costume de ses pères. Il avait la couronne de comte sur la tête, l’épée au flanc, l’écu sous les pieds, et le crucifix sur la poitrine. Avec ses longs cheveux et sa barbe noire, il était tout semblable aux anciens preux dont les statues étendues sur leurs tombes gisaient autour de lui. Le pavé était semé de fleurs, et des parfums brûlaient lentement dans des cassolettes de vermeil, aux quatre angles de sa couche mortuaire.

Pendant trois heures Consuelo pria pour son époux et le contempla dans son sublime repos. La mort, en répandant une teinte plus morne sur ses traits, les avait si peu altérés, que plusieurs fois elle oublia, en admirant sa beauté, qu’il avait cessé de vivre. Elle s’imagina même entendre le bruit de sa respiration, et lorsqu’elle s’en éloignait un instant pour entretenir le parfum des réchauds et la flamme des cierges, il lui semblait qu’elle entendait de faibles frôlements et qu’elle apercevait de