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avait empêchés d’y rester, et ils préféraient veiller et prier à la porte.

« Quelle peur ? demanda Consuelo, blessée de voir qu’un maître si généreux n’inspirait déjà plus d’autres sentiments à ses serviteurs.

— Que voulez-vous, signora ? répondit un de ces hommes qui étaient loin de voir en elle la veuve du comte Albert ; notre jeune seigneur avait des pratiques et des connaissances singulières dans le monde des esprits. Il conversait avec les morts, il découvrait les choses cachées ; il n’allait jamais à l’église, il mangeait avec les zingaris ; enfin on ne sait ce qui peut arriver à ceux qui passeront cette nuit dans la chapelle. Il y irait de la vie que nous n’y resterions pas. Voyez Cynabre ! on ne le laisse pas entrer dans le saint lieu, et il a passé toute la journée couché en travers de la porte, sans manger, sans remuer, sans pleurer. Il sait bien que son maître est là, et qu’il est mort. Aussi ne l’a-t-il pas appelé une seule fois. Mais depuis que minuit a sonné, le voilà qui s’agite, qui flaire, qui gratte à la porte, et qui gémit comme s’il sentait que son maître n’est plus seul et tranquille là-dedans.

— Vous êtes de pauvres fous ! répondit Consuelo avec indignation. Si vous aviez le cœur un peu plus chaud, vous n’auriez pas l’esprit si faible. »

Et elle entra dans la chapelle, à la grande surprise et à la grande consternation des timides gardiens.

Elle n’avait pas voulu revoir Albert dans la journée. Elle le savait entouré de tout l’appareil catholique, et elle eût craint, en se joignant extérieurement à ces pratiques, qu’il avait toujours repoussées, d’irriter son âme toujours vivante dans la sienne. Elle avait attendu ce moment ; et, préparée à l’aspect lugubre dont le culte l’avait entouré, elle approcha de son catafalque et le