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consuelo.

— Est-ce par dérision que vous me parlez d’elle, Signora ? s’écria la chanoinesse, sur qui le nom d’Amélie parut faire l’effet d’une brûlure.

— Pourquoi cette demande, madame ? reprit Consuelo avec un étonnement dont la candeur ne pouvait laisser de doute dans l’esprit de Wenceslawa ; au nom du ciel, dites-moi pourquoi je n’ai pas vu ici la jeune baronne ! Serait-elle morte aussi, mon Dieu ?

— Non, dit la chanoinesse avec amertume. Plût au ciel qu’elle le fût ! Ne parlons point d’elle, il n’en est pas question.

— Je suis forcée pourtant, madame, de vous rappeler ce à quoi je n’avais pas encore songé. C’est qu’elle est l’héritière unique et légitime des biens et des titres de votre famille. Voilà ce qui doit mettre votre conscience en repos sur le dépôt qu’Albert vous a confié, puisque les lois ne vous permettent pas d’en disposer en ma faveur.

— Rien ne peut vous ôter vos droits à un douaire et à un titre que la dernière volonté d’Albert ont mis à votre disposition.

— Rien ne peut donc m’empêcher d’y renoncer, et j’y renonce. Albert savait bien que je ne voulais être ni riche, ni comtesse.

— Mais le monde ne vous autorise pas à y renoncer.

— Le monde, madame ! eh bien, voilà justement ce dont je voulais vous parler. Le monde ne comprendrait pas l’affection d’Albert ni la condescendance de sa famille pour une pauvre fille comme moi. Il en ferait un reproche à sa mémoire et une tache à votre vie. Il m’en ferait à moi un ridicule et peut-être une honte ; car, je le répète, le monde ne comprendrait rien à ce qui s’est passé ici entre nous. Le monde doit donc à jamais l’ignorer, madame, comme vos domestiques l’ignorent ; car mon maître et M. le docteur, seuls confidents, seuls témoins