Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/409

Cette page a été validée par deux contributeurs.
399
consuelo.

morne inaction où vous voilà tombé. Vous étiez habitué au grand air et à l’exercice : allez faire un tour de promenade, prenez un fusil : le veneur vous suivra avec ses chiens. Je sais bien que cela ne vous distraira pas de votre douleur ; mais, au moins, vous en ressentirez un bien physique, j’en suis certaine. Faites-le pour moi, Frédéric : c’est l’ordre du médecin, c’est la prière de votre sœur ; ne me refusez pas. C’est la plus grande consolation que vous puissiez me donner en ce moment, puisque la dernière espérance de ma triste vieillesse repose sur vous. »

Le baron hésita, et finit par céder. Ses domestiques l’emmenèrent, et il se laissa conduire dehors comme un enfant. Le docteur examina le comte Christian, qui ne donnait aucun signe de sensibilité, bien qu’il répondît à ses questions et parût reconnaître tout le monde d’un air de douceur et d’indifférence.

« La fièvre n’est pas très-forte, dit Supperville bas à la chanoinesse ; si elle n’augmente pas ce soir, ce ne sera peut-être rien. »

Wenceslawa, un peu rassurée, lui confia la garde de son frère, et emmena Consuelo dans un vaste appartement, richement décoré à l’ancienne mode, où cette dernière n’était jamais entrée. Il y avait un grand lit de parade, dont les rideaux n’avaient pas été remués depuis plus de vingt ans. C’était celui où Wanda de Prachatitz, la mère du comte Albert, avait rendu le dernier soupir ; et cette chambre était la sienne.

« C’est ici, dit la chanoinesse d’un air solennel, après avoir fermé la porte, que nous avons retrouvé Albert, il y a aujourd’hui trente-deux jours, après une disparition qui en avait duré quinze. Depuis ce moment-là, il n’y est plus entré ; il n’a plus quitté le fauteuil où il est mort hier au soir. »