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qui tombaient silencieusement sur ses joues sans qu’il songeât à les essuyer, montraient qu’il n’avait pas eu le bonheur de perdre la mémoire.

Consuelo s’approcha de la chanoinesse pour lui baiser la main ; mais cette main se retira d’elle avec une insurmontable aversion. La pauvre Wenceslawa voyait dans cette jeune fille le fléau et la destruction de son neveu. Elle avait eu horreur du projet de leur mariage dans les premiers temps, et s’y était opposée de tout son pouvoir ; et puis, quand elle avait vu que, malgré l’absence, il était impossible d’y faire renoncer Albert, que sa santé, sa raison et sa vie en dépendaient, elle l’avait souhaité et hâté avec autant d’ardeur qu’elle y avait porté d’abord d’effroi et de répulsion. Le refus du Porpora, la passion exclusive qu’il n’avait pas craint d’attribuer à Consuelo pour le théâtre, enfin tous les officieux et funestes mensonges dont il avait rempli plusieurs lettres au comte Christian, sans jamais faire mention de celles que Consuelo avait écrites et qu’il avait supprimées, avaient causé au vieillard la plus vive douleur, à la chanoinesse la plus amère indignation. Elle avait pris Consuelo en haine et en mépris, lui pouvant pardonner, disait-elle, d’avoir égaré la raison d’Albert par ce fatal amour, mais ne pouvant l’absoudre de l’avoir impudemment trahi. Elle ignorait que le véritable meurtrier d’Albert était le Porpora. Consuelo, qui comprenait bien sa pensée, eût pu se justifier ; mais elle aima mieux assumer sur elle tous les reproches, que d’accuser son maître et de lui faire perdre l’estime et l’affection de la famille. D’ailleurs, elle devinait de reste que si, la veille, Wenceslawa avait pu abjurer toutes ses répugnances et tous ses ressentiments par un effort d’amour maternel, elle devait les retrouver, maintenant que le sacrifice avait été inutilement accompli. Chaque regard de cette pauvre