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d’une vie nonchalante l’avait trop énervé pour qu’il pût supporter la douleur des autres. La chanoinesse conservait de l’énergie pour tous. Sa figure était couperosée, ses yeux brillaient d’un éclat fébrile ; Albert seul paraissait calme. Il avait la sérénité d’une belle mort sur le front, sa prostration physique n’avait rien qui ressemblât à l’abrutissement des facultés morales. Il était grave et non accablé comme son père et son oncle.

Au milieu de toutes ces organisations ravagées par la maladie ou la douleur, le calme et la santé du médecin faisaient contraste. Supperville était un Français autrefois attaché à Frédéric, lorsque celui-ci n’était que prince royal. Pressentant un des premiers le caractère despotique et ombrageux qu’il voyait couver dans le prince, il était venu se fixer à Bareith et s’y vouer au service de la margrave Sophie Wilhelmine de Prusse, sœur de Frédéric. Ambitieux et jaloux, Supperville avait toutes les qualités du courtisan ; médecin assez médiocre, malgré la réputation qu’il avait acquise dans cette petite cour, il était homme du monde, observateur pénétrant et juge assez intelligent des causes morales de la maladie. Il avait beaucoup exhorté la chanoinesse à satisfaire tous les désirs de son neveu, et il avait espéré quelque chose du retour de celle pour qui Albert mourait. Mais il avait beau interroger son pouls et sa physionomie, depuis que Consuelo était arrivée, il se répétait qu’il n’était plus temps, et il songeait à s’en aller pour n’être pas témoin des scènes de désespoir qu’il n’était plus en son pouvoir de conjurer.

Il résolut pourtant de se mêler aux affaires positives de la famille, pour satisfaire, soit quelque prévision intéressée, soit son goût naturel pour l’intrigue ; et, voyant que, dans cette famille consternée, personne ne songeait à mettre les moments à profit, il attira Consuelo dans