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compté les heures et les minutes exactement ; il a annoncé que vous entriez dans la cour, et une seconde après nous avons entendu le roulement de votre voiture. Il ne doutait pas de votre arrivée, mais il a dit que si quelque accident vous retardait, il ne serait plus temps. Venez, signora, et, au nom du ciel, ne résistez à aucune de ses idées, ne contrariez aucun de ses sentiments. Promettez-lui tout ce qu’il vous demandera, feignez de l’aimer. Mentez, hélas ! s’il le faut. Albert est condamné ! il touche à sa dernière heure. Tâchez d’adoucir son agonie ; c’est tout ce que nous vous demandons. »

En parlant ainsi, Wenceslawa entraînait Consuelo vers le grand salon.

« Il est donc levé ? Il ne garde donc pas la chambre ? demanda Consuelo à la hâte.

— Il ne se lève plus, car il ne se couche plus, répondit la chanoinesse. Depuis trente jours, il est assis sur un fauteuil, dans le salon, et il ne veut pas qu’on le dérange pour le transporter ailleurs. Le médecin déclare qu’il ne faut pas le contrarier à cet égard, parce qu’on le ferait mourir en le remuant. Signora, prenez courage ; car vous allez voir un effrayant spectacle ! »

La chanoinesse ouvrit la porte du salon, en ajoutant :

« Courez à lui, ne craignez pas de le surprendre. Il vous attend, il vous a vue venir de plus de deux lieues. »

Consuelo s’élança vers son pâle fiancé, qui était effectivement assis dans un grand fauteuil, auprès de la cheminée. Ce n’était plus un homme, c’était un spectre. Sa figure, toujours belle malgré les ravages de la maladie, avait contracté l’immobilité d’un visage de marbre. Il n’y eut pas un sourire sur ses lèvres, pas un éclair de joie dans ses yeux. Le médecin, qui tenait son bras et con-