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de cette brusque résolution que Consuelo venait de prendre. Il s’agita beaucoup, frappa son front avec ses mains et le plancher avec ses talons, fit craquer toutes ses phalanges, compta sur ses doigts, supputa, rêva, s’arma de courage, et, bravant l’explosion, dit à Consuelo en la secouant pour la ranimer :

« Tu veux aller là-bas, j’y consens ; mais je te suis. Tu veux voir Albert, tu vas peut-être lui donner le coup de grâce ; mais il n’y a pas moyen de reculer, nous partons. Nous pouvons disposer de deux jours. Nous devions les passer à Dresde ; nous ne nous y reposerons point. Si nous ne sommes pas à la frontière de Prusse le 18, nous manquons à nos engagements. Le théâtre ouvre le 25 ; si tu n’es pas prête, je suis condamné à payer un dédit considérable. Je ne possède pas la moitié de la somme nécessaire, et, en Prusse, qui ne paie pas va en prison. Une fois en prison, on vous oublie ; on vous laisse dix ans, vingt ans ; vous y mourrez de chagrin ou de vieillesse, à volonté. Voilà le sort qui m’attend si tu oublies qu’il faut quitter Riesenburg le 14 à cinq heures du matin au plus tard.

— Soyez tranquille, mon maître, répondit Consuelo avec l’énergie de la résolution ; j’avais déjà songé à tout cela. Ne me faites pas souffrir à Riesenburg, voilà tout ce que je vous demande. Nous en partirons le 14 à cinq heures du matin.

— Il faut le jurer.

— Je le jure ! répondit-elle en haussant les épaules d’impatience. Quand il s’agit de votre liberté et de votre vie, je ne conçois pas que vous ayez besoin d’un serment de ma part. »

Le baron rentra en cet instant, suivi d’un vieux domestique dévoué et intelligent, qui l’enveloppa comme un enfant de sa pelisse fourrée, et le traîna dans sa voiture.