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famille, parce que, dans huit jours peut-être, Albert n’existerait plus. Christian, à qui je n’ai pas la force de prononcer cet arrêt, se flatte encore, mais faiblement ; car son abattement m’épouvante, et je ne sais pas si la perte de mon neveu est le seul coup qui me menace. Frédéric, nous sommes perdus ! survivrons-nous tous deux à de tels désastres ? Pour moi, je n’en sais rien. Que la volonté de Dieu soit faite ! Voilà tout ce que je puis dire ; mais je ne sens pas en moi la force de n’y pas succomber. Venez à nous, mon frère, et tâchez de nous apporter du courage, s’il a pu vous en rester après votre propre malheur, malheur qui est aussi le nôtre, et qui met le comble aux infortunes d’une famille qu’on dirait maudite ! Quels crimes avons-nous donc commis pour mériter de telles expiations ? Que Dieu me préserve de manquer de foi et de soumission ; mais, en vérité, il y a des instants où je me dis que c’en est trop.

« Venez, mon frère, nous vous attendons, nous avons besoin de vous ; et cependant ne quittez pas Prague avant le 11. J’ai à vous charger d’une étrange commission ; je crois devenir folle en m’y prêtant ; mais je ne comprends plus rien à notre existence, et je me conforme aveuglément aux volontés d’Albert. Le 11 courant, à sept heures du soir, trouvez-vous sur le pont de Prague, au pied de la statue. La première voiture qui passera, vous l’arrêterez ; la première personne que vous y verrez, vous l’emmènerez chez vous ; et si elle peut partir pour Riesenburg le soir même, Albert sera peut-être sauvé. Du moins il dit qu’il se rattachera à la vie éternelle, et j’ignore ce qu’il entend par là. Mais les révélations qu’il a eues, depuis huit jours, des événements les plus imprévus pour nous tous, ont été réalisées d’une façon si incompréhensible, qu’il ne m’est plus permis d’en douter : il a le don de prophétie ou le sens de la