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consuelo.

— Je ne puis manger si vous ne me tirez d’inquiétude. Monsieur le baron, au nom du ciel, n’avez-vous pas à déplorer la perte d’aucun des vôtres ?

— Personne n’est mort, » répondit le baron d’un ton aussi lugubre que s’il eût annoncé l’extinction de sa famille entière.

Et il se mit à découper les viandes avec une lenteur aussi solennelle qu’il le faisait à Riesenburg. Consuelo n’eut plus le courage de le questionner. Le souper lui parut mortellement long. Le Porpora, qui était moins inquiet qu’affamé, s’efforça de causer avec son hôte. Celui-ci s’efforça, de son côté, de lui répondre obligeamment, et même de l’interroger sur ses affaires et ses projets ; mais cette liberté d’esprit était évidemment au-dessus de ses forces. Il ne répondait jamais à propos, ou il renouvelait ses questions un instant après en avoir reçu la réponse. Il se taillait toujours de larges portions, et faisait remplir copieusement son assiette et son verre ; mais c’était un effet de l’habitude : il ne mangeait ni ne buvait ; et, laissant tomber sa fourchette par terre et ses regards sur la nappe, il succombait à un affaissement déplorable. Consuelo l’examinait, et voyait bien qu’il n’était pas ivre. Elle se demandait si cette décadence subite était l’ouvrage du malheur, de la maladie ou de la vieillesse. Enfin, après deux heures de ce supplice, le baron, voyant le repas terminé, fit signe à ses gens de se retirer ; et, après avoir longtemps cherché dans ses poches d’un air égaré, il en sortit une lettre ouverte, qu’il présenta à Consuelo. Elle était de la chanoinesse, et contenait ce qui suit :

« Nous sommes perdus ; plus d’espoir, mon frère ! Le docteur Supperville est enfin arrivé de Bareith ; et, après nous avoir ménagés pendant quelques jours, il m’a déclaré qu’il fallait mettre ordre aux affaires de la