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enjoué jusque-là ; et, par une réaction assez naturelle, elle tomba tout d’un coup dans la tristesse. Le postillon, qui rajustait son équipage avec une lenteur germanique, ne cessait de répéter à chaque exclamation de mécontentement : « Voilà un mauvais présage ! » si bien que l’imagination de Consuelo finit par s’en ressentir. Toute émotion pénible, toute rêverie prolongée ramenait en elle le souvenir d’Albert. Elle se rappela en cet instant qu’Albert, entendant un soir la chanoinesse invoquer tout haut, dans sa prière, saint Népomuck le gardien de la bonne réputation, lui avait dit : « C’est fort bien pour vous, ma tante, qui avez pris la précaution d’assurer la vôtre par une vie exemplaire ; mais j’ai vu souvent des âmes souillées de vices appeler à leur aide les miracles de ce saint, afin de pouvoir mieux cacher aux hommes leurs secrètes iniquités. C’est ainsi que vos pratiques dévotes servent aussi souvent de manteau à l’hypocrisie grossière que de secours à l’innocence. » En cet instant, Consuelo s’imagina entendre la voix d’Albert résonner à son oreille dans la brise du soir et dans l’onde sinistre de la Moldaw. Elle se demanda ce qu’il penserait d’elle, lui qui la croyait déjà pervertie peut-être, s’il la voyait prosternée devant cette image catholique ; et elle se relevait comme effrayée, lorsque le Porpora lui dit :

« Allons, remontons en voiture, tout est réparé. »

Elle le suivit et s’apprêtait à entrer dans la voiture, lorsqu’un cavalier, lourdement monté sur un cheval plus lourd encore, s’arrêta court, mit pied à terre et s’approcha d’elle pour la regarder avec une curiosité tranquille qui lui parut fort impertinente.

« Que faites-vous là, monsieur ? dit le Porpora en le repoussant ; on ne regarde pas les dames de si près. Ce peut être l’usage à Prague, mais je ne suis pas disposé à m’y soumettre. »