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afin que le saint détournât le mauvais présage par suite duquel elle se trouvait arrêtée sur le pont. La musique et les paroles étaient, selon eux, du temps même de Wenceslas l’ivrogne :

Suscipe quas dedimus, Johannes beate,
Tibi preces supplices, noster advocate :
Fieri, dum vivimus, ne sinas infames
Et nostros post obitum cœlis infer manes.

Le Porpora, qui prit plaisir à les écouter, jugea que leur hymne n’avait guère plus d’un siècle de date ; mais il en entendit un second qui lui sembla une malédiction adressée à Wenceslas par ses contemporains, et qui commençait ainsi :

Sævus, piger imperator,
Malorum clarus patrator, etc.

Quoique les crimes de Wenceslas ne fussent pas un événement de circonstance, il semblait que les pauvres Bohémiens prissent un éternel plaisir à maudire, dans la personne de ce tyran, ce titre abhorré d’imperator, qui était devenu pour eux synonyme d’étranger. Une sentinelle autrichienne gardait chacune des portes placées à l’extrémité du pont. Leur consigne les forçait à marcher sans cesse de chaque porte à la moitié de l’édifice ; là elles se rencontraient devant la statue, se tournaient le dos et reprenaient leur impassible promenade. Elles entendaient les cantiques ; mais comme elles n’étaient pas aussi versées dans le latin d’église que les dévots pragois, elles s’imaginaient sans doute écouter un cantique à la louange de François de Lorraine, l’époux de Marie-Thérèse.

En recueillant ces chants naïfs au clair de la lune, dans un des sites les plus poétiques du monde, Consuelo se sentit pénétrée de mélancolie. Son voyage avait été heureux et