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consuelo.

— Si je ne dois pas le demander, je me tais, monsieur le comte ; cependant j’ai quelque soupçon qu’il ne s’appelle pas réellement le baron de Kreutz.

— Je n’en ai pas été dupe un seul instant, repartit Hoditz, qui à cet égard se vantait un peu. Cependant j’ai respecté religieusement son incognito. Je sais que c’est sa fantaisie et qu’on l’offense quand on n’a pas l’air de le prendre pour ce qu’il se donne. Vous avez vu que je l’ai traité comme un simple officier, et pourtant… »

Le comte mourait d’envie de parler ; mais les convenances lui défendaient d’articuler un nom apparemment si sacré. Il prit un terme moyen, et présentant sa lorgnette à Consuelo :

« Regardez, lui dit-il, comme cet arc improvisé a bien réussi. Il y a d’ici près d’un demi-mille, et je parie qu’avec ma lorgnette, qui est excellente, vous allez lire ce qui est écrit dessus. Les lettres ont vingt pieds de haut, quoiqu’elles vous paraissent imperceptibles. Cependant, regardez bien !… »

Consuelo regarda et déchiffra aisément cette inscription, qui lui révéla le secret de la comédie :

Vive Frédéric le Grand.

« Ah ! monsieur le comte, s’écria-t-elle vivement préoccupée, il y a du danger pour un tel personnage à voyager ainsi, et il y en a plus encore à le recevoir.

— Je ne vous comprends pas, dit le comte ; nous sommes en paix ; personne ne songerait maintenant, sur les terres de l’empire, à lui faire un mauvais parti, et personne ne peut plus trouver contraire au patriotisme d’héberger honorablement un hôte tel que lui. »

Consuelo était plongée dans ses rêveries. Hoditz l’en tira en lui disant qu’il avait une humble supplique à lui présenter ; qu’il craignait d’abuser de son obligeance,