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consuelo.

craint de s’évanouir, n’échappèrent point à l’œil clairvoyant du baron de Kreutz. Il portait un flambeau, et s’arrêta devant elle en souriant. Sa figure était parfaitement calme ; cependant Consuelo crut voir que sa main tremblait et faisait vaciller très-sensiblement la flamme de la bougie. Le lieutenant était derrière lui, pâle comme la mort, et tenant son épée nue. Ces circonstances, ainsi que la certitude qu’elle acquit un peu plus tard qu’une fenêtre de cet appartement, où le baron avait déposé et repris ses effets, donnait sur la terrasse de la tourelle, firent penser ensuite à Consuelo que les deux Prussiens n’avaient pas perdu un mot de son entretien avec Karl. Cependant le baron la salua d’un air courtois et tranquille ; et comme la crainte d’une pareille situation lui faisait oublier de rendre le salut et lui ôtait la force de dire un mot, Kreutz l’ayant examinée un instant avec des yeux qui exprimaient plus d’intérêt que de surprise, il lui dit d’une voix douce en lui prenant la main :

« Allons, mon enfant, remettez-vous. Vous semblez bien agitée. Nous vous avons fait peur en passant brusquement devant cette porte au moment où vous l’ouvriez ; mais nous sommes vos serviteurs et vos amis. J’espère que nous vous reverrons à Berlin, et peut-être pourrons-nous vous y être bon à quelque chose. »

Le baron attira un peu vers lui la main de Consuelo comme si, dans un premier mouvement, il eût songé à la porter à ses lèvres. Mais il se contenta de la presser légèrement, salua de nouveau, et s’éloigna, suivi de son lieutenant[1], qui ne sembla pas même voir Consuelo, tant il était troublé et hors de lui. Cette contenance confirma la jeune fille dans l’opinion qu’il était instruit du danger dont son maître venait d’être menacé.

  1. On disait alors bas officier. Nous avons, dans notre récit, modernisé un titre qui donnait lieu à équivoque.