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consuelo.

je ne la vois pas. Ma femme, si tu es là parle-moi, fais que je la revoie encore une fois et que je meure.

— Tu ne peux pas la voir : le crime est dans ton cœur, et la nuit sur tes yeux. Mets-toi à genoux, Karl ; tu peux encore te racheter. Donne-moi ce fusil qui souille tes mains, et fais ta prière. »

En parlant ainsi, Consuelo prit la carabine, qui ne lui fut pas disputée, et se hâta de l’éloigner des yeux de Karl, tandis qu’il tombait à genoux et fondait en larmes. Elle quitta la terrasse pour cacher cette arme dans quelque autre endroit, à la hâte. Elle était brisée de l’effort qu’elle venait de faire pour s’emparer de l’imagination du fanatique en évoquant les chimères qui le gouvernaient. Le temps pressait ; et ce n’était pas le moment de lui faire un cours de philosophie plus humaine et plus éclairée. Elle venait de dire ce qui lui était venu à l’esprit, inspirée peut-être par quelque chose de sympathique dans l’exaltation de ce malheureux, qu’elle voulait à tout prix sauver d’un acte de démence, et qu’elle accablait même d’une feinte indignation, tout en le plaignant d’un égarement dont il n’était pas le maître.

Elle se pressait d’écarter l’arme fatale, afin de le rejoindre ensuite et de le retenir sur la terrasse jusqu’à ce que les Prussiens fussent bien loin, lorsqu’en rouvrant cette petite porte qui ramenait de la terrasse au corridor, elle se trouva face à face avec le baron de Kreutz. Il venait de chercher son manteau et ses pistolets dans sa chambre. Consuelo n’eut que le temps de laisser tomber la carabine derrière elle, dans l’angle que formait la porte, et de se jeter dans le corridor, en refermant cette porte entre elle et Karl. Elle craignait que la vue de l’ennemi ne rendît à ce dernier toute sa fureur s’il l’apercevait.

La précipitation de ce mouvement, et l’émotion qui la força de s’appuyer contre la porte, comme si elle eût