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consuelo.

— En ce cas, je veux que tu parles ; tu n’as pas le droit de te taire avec moi, Karl. Tu m’as promis un dévouement, une soumission à toute épreuve.

— Ah ! signora, que me dites-vous là ? c’est la vérité, je vous dois plus que la vie, car vous avez fait ce qu’il fallait pour me conserver ma femme et ma fille ; mais elles étaient condamnées, elles ont péri… et il faut bien que leur mort soit vengée !

— Karl, au nom de ta femme et de ton enfant qui prient pour toi dans le ciel, je t’ordonne de parler. Tu médites je ne sais quel acte de folie ; tu veux te venger ? La vue de ces Prussiens te met hors de toi ?

— Elle me rend fou, elle me rend furieux… Mais non, je suis calme, je suis un saint. Voyez-vous, signora, c’est Dieu et non l’enfer qui me pousse. Allons ! l’heure approche. Adieu, signora ; il est probable que je ne vous reverrai plus, et je vous demande, puisque vous passez par Prague, de payer une messe pour moi à la chapelle de Saint-Jean-Népomuck, un des plus grands patrons de la Bohême.

— Karl, vous parlerez, vous confesserez les idées criminelles qui vous tourmentent, ou je ne prierai jamais pour vous, et j’appellerai sur vous, au contraire, la malédiction de votre femme et de votre fille, qui sont des anges dans le sein de Jésus le Miséricordieux. Mais comment voulez-vous être pardonné dans le ciel, si vous ne pardonnez pas sur la terre ? Je vois bien que vous avez une carabine sous votre manteau, Karl, et que d’ici vous guettez ces Prussiens au passage.

— Non, pas d’ici, dit Karl ébranlé et tremblant ; je ne veux pas verser le sang dans la maison de mon maître, ni sous vos yeux, ma bonne sainte fille ; mais là-bas ; voyez-vous, il y a dans la montagne un chemin creux que je connais bien déjà ; car j’y étais ce matin quand ils