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consuelo.

— Je le ferais, dût-il couper la mienne ! » répondit le vieux professeur, qu’un peu de champagne rendait expansif et fanfaron.

Consuelo avait été bien et dûment avertie par le chanoine que la Prusse était une grande préfecture de police, où les moindres paroles, prononcées bien bas à la frontière, arrivaient en peu d’instants, par une suite d’échos mystérieux et fidèles, au cabinet de Frédéric, et qu’il ne fallait jamais dire à un Prussien, surtout à un militaire, à un employé quelconque : « Comment vous portez-vous ? » sans peser chaque syllabe, et tourner, comme on dit aux petits enfants, sa langue sept fois dans sa bouche. Elle ne vit donc pas avec plaisir son maître s’abandonner à son humeur narquoise, et elle s’efforça de réparer ses imprudences par un peu de politique.

« Quand même le roi de Prusse ne serait pas le premier musicien de son siècle, dit-elle, il lui serait permis de dédaigner un art certainement bien futile au prix de tout ce qu’il sait d’ailleurs. »

Mais elle ignorait que Frédéric ne mettait pas moins d’amour-propre à être un grand flûtiste qu’à être un grand capitaine et un grand philosophe. Le baron de Kreutz déclara que si Sa Majesté avait jugé la musique un art digne d’être étudié, elle y avait consacré très-probablement une attention et un travail sérieux.

« Bah ! dit le Porpora, qui s’animait de plus en plus, l’attention et le travail ne révèlent rien, en fait d’art, à ceux que le ciel n’a pas doués d’un talent inné. Le génie de la musique n’est pas à la portée de toutes les fortunes, et il est plus facile de gagner des batailles et de pensionner des gens de lettres que de dérober aux muses le feu sacré. Le baron Frédéric de Trenck nous a fort bien dit que Sa Majesté prussienne, lorsqu’elle manquait