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seule cruauté commise fut d’en faire tomber quelques-uns à la mer. L’eau du bassin était bien froide, et Consuelo les plaignait, lorsqu’elle vit qu’ils y prenaient plaisir, et mettaient de la vanité à montrer à leurs compagnons montagnards qu’ils étaient bons nageurs.

Quand la flotte de Cléopâtre (car le navire que devait monter la margrave portait réellement ce titre pompeux) eut été victorieuse, comme de raison, elle emmena prisonnière la flottille des pirates à sa suite, et s’en alla au son d’une musique triomphale (à porter le diable en terre, au dire du Porpora) explorer les rivages de la Grèce. On approcha ensuite d’une île inconnue d’où l’on voyait s’élever des huttes de terre et des arbres exotiques fort bien acclimatés ou fort bien imités ; car on ne savait jamais à quoi s’en tenir à cet égard, le faux et le vrai étant confondus partout. Aux marges de cette île étaient amarrées des pirogues. Les naturels du pays s’y jetèrent avec des cris très-sauvages et vinrent à la rencontre de la flotte, apportant des fleurs et des fruits étrangers récemment coupés dans les serres chaudes de la résidence. Ces sauvages étaient hérissés, tatoués, crépus, et plus semblables à des diables qu’à des hommes. Les costumes n’étaient pas trop bien assortis. Les uns étaient couronnés de plumes, comme des péruviens, les autres empaquetés de fourrures, comme des esquimaux ; mais on n’y regardait pas de si près ; pourvu qu’ils fussent bien laids et bien ébouriffés, on les tenait pour anthropophages tout au moins.

Ces bonnes gens firent beaucoup de grimaces, et leur chef, qui était une espèce de géant, ayant une fausse barbe qui lui tombait jusqu’à la ceinture, vint faire un discours que le comte Hoditz avait pris la peine de composer lui-même en langue sauvage. C’était un assemblage de syllabes ronflantes et croquantes, arrangées au hasard