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gré, et faisant recommencer la répétition. Ensuite on voyagea de conserve aux sons d’une musique de cuivre abominablement fausse, qui acheva d’exaspérer le Porpora.

« Passe pour nous faire geler et enrhumer, disait-il entre ses dents ; mais nous écorcher les oreilles à ce point, c’est trop fort !

— Voile pour le Péloponèse ! » s’écria le comte ; et on cingla vers une rive couronnée de menues fabriques imitant des temples grecs et d’antiques tombeaux.

On se dirigeait sur une petite anse masquée par des rochers, et, lorsqu’on en fut à dix pas, on fut accueilli par une décharge de coups de fusil. Deux hommes tombèrent morts sur le tillac, et un jeune mousse fort léger, qui se tenait dans les cordages, jeta un grand cri, descendit, ou plutôt se laissa glisser adroitement, et vint se rouler au beau milieu de la société, en hurlant qu’il était blessé et en cachant dans ses mains sa tête, soi-disant fracassée d’une balle.

« Ici, dit le comte à Consuelo, j’ai besoin de vous pour une petite répétition que je fais faire à mon équipage. Ayez la bonté de représenter pour un instant le personnage de madame la margrave, et de commander à cet enfant mourant ainsi qu’à ces deux morts, qui, par parenthèse sont fort bêtement tombés, de se relever, d’être guéris à l’instant même, de prendre leurs armes, et de défendre Son Altesse contre les insolents pirates retranchés dans cette embuscade. »

Consuelo se hâta de se prêter au rôle de margrave, et le joua avec beaucoup plus de noblesse et de grâce naturelle que ne l’eût fait madame Hoditz. Les morts et les mourants se relevèrent sur leurs genoux et lui baisèrent la main. Là, il leur fut enjoint par le comte de ne point toucher tout de bon de leurs bouches vassales la