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haute, d’un ton accentué, il donnât ses ordres aux gondoliers, ceux-ci l’eussent compris avec peine, si Consuelo ne lui eût servi de truchement. Il leur fut enjoint de chanter des vers du Tasse : mais ces pauvres diables, enroués par les glaces du Nord, dépaysés et déroutés dans leurs souvenirs, donnèrent aux prussiens un fort triste échantillon de leur savoir-faire. Il fallut que Consuelo leur soufflât chaque strophe, et promît de leur faire faire une répétition des fragments qu’ils devaient chanter le lendemain à madame la margrave.

Quand on eut navigué un quart d’heure dans un espace qu’on eût pu traverser en trois minutes, mais où l’on avait ménagé au pauvre ruisseau contrarié dans sa course mille détours insidieux, on arriva à la pleine mer. C’était un assez vaste bassin où l’on débouqua à travers des massifs de cyprès et de sapins, et dont le coup d’œil inattendu était vraiment agréable. Mais on n’eut pas le loisir de l’admirer. Il fallut s’embarquer sur un navire de poche, où rien ne manquait ; mâts, voiles, cordages, c’était un modèle accompli de bâtiment avec tous ses agrès, et que le trop grand nombre de matelots et de passagers faillit faire sombrer. Le Porpora y eut froid. Les tapis étaient fort humides, et je crois bien que, malgré l’exacte revue que M. le comte, arrivé de la veille, avait faite déjà de toutes les pièces, l’embarcation faisait eau. Personne ne s’y sentait à l’aise, excepté le comte, qui, par grâce d’état, ne se souciait jamais des petits désagréments attachés à ses plaisirs, et Consuelo, qui commençait à s’amuser beaucoup de la folie de son hôte. Une flotte proportionnée à ce vaisseau de commandement vint se placer sous ses ordres, exécuta des manœuvres que le comte lui-même, armé d’un porte-voix, et debout sur la poupe, dirigea fort sérieusement, se fâchant fort quand les choses n’allaient point à son