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un peu étonné, peut-être même un peu choqué du sans-façon de M. le comte ; et il affectait une politesse réservée, lorsque le comte lui dit :

« Monsieur le capitaine, je vous prie de vous mettre à l’aise et de faire ici comme chez vous. Je sais que vous devez être habitué à la régularité austère des armées du grand Frédéric ; je trouve cela admirable en son lieu ; mais ici, vous êtes à la campagne, et si l’on ne s’amuse à la campagne, qu’y vient-on faire ? Je vois que vous êtes des personnes bien élevées et de bonnes manières. Vous n’êtes certainement pas officiers du roi de Prusse, sans avoir fait vos preuves de science militaire et de bravoure accomplie. Je vous tiens donc pour des hôtes dont la présence honore ma maison ; veuillez en disposer sans retenue, et y rester tant que le séjour vous en sera agréable. »

L’officier prit aussitôt son parti en homme d’esprit, et, après avoir remercié son hôte sur le même ton, il se mit à sabler le champagne, qui ne lui fit pourtant pas perdre une ligne de son sang-froid, et à creuser un excellent pâté sur lequel il fit des remarques et des questions gastronomiques qui ne donnèrent pas grande idée de lui à la très-sobre Consuelo. Elle était cependant frappée du feu de son regard ; mais ce feu même l’étonnait sans la charmer. Elle y trouvait je ne sais quoi de hautain, de scrutateur et de méfiant qui n’allait point à son cœur.

Tout en mangeant, l’officier apprit au comte qu’il s’appelait le baron de Kreutz, qu’il était originaire de Silésie, où il venait d’être envoyé en remonte pour la cavalerie ; que, se trouvant à Neïsse, il n’avait pu résister au désir de voir le palais et les jardins tant vantés de Roswald ; qu’en conséquence, il avait passé le matin la frontière avec son lieutenant, non sans mettre le temps et l’occasion à profit pour faire sur sa route quelques achats de