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était mieux habillé que vous dans ce temps-là), il était devenu votre domestique ; et il resta dans l’antichambre. Il ne me reconnut pas ; et comme monsieur le comte m’avait défendu de dire un seul mot à qui que ce soit de ce qui m’était arrivé (je n’ai jamais su ni demandé pourquoi), je ne parlai pas à ce bon Joseph, quoique j’eusse bien envie de lui sauter au cou. Il s’en alla presque tout de suite dans une autre pièce. J’avais ordre de ne point quitter celle où je me trouvais ; un bon serviteur ne connaît que sa consigne. Mais quand tout le monde fut parti, le valet de chambre de monseigneur, qui a toute sa confiance, me dit : « Karl, tu n’as pas parlé à ce petit laquais du Porpora, quoique tu l’aies reconnu, et tu as bien fait. Monsieur le comte sera content de toi. Quant à la demoiselle qui a chanté ce soir… — Oh ! je l’ai reconnue aussi, m’écriai-je, et je n’ai rien dit. — Eh bien, ajouta-t-il, tu as encore bien fait. Monsieur le comte ne veut pas qu’on sache qu’elle a voyagé avec lui jusqu’à Passaw. — Cela ne me regarde point, repris-je ; mais puis-je te demander, à toi, comment elle m’a délivré des mains des Prussiens ? » Henri me raconta alors comment la chose s’était passée (car il était là), comment vous aviez couru après la voiture de monsieur le comte, et comment, lorsque vous n’aviez plus rien à craindre pour vous-même, vous aviez voulu absolument qu’il vînt me délivrer. Vous en aviez dit quelque chose à ma pauvre femme ; et elle me l’avait raconté aussi ; car elle est morte en vous recommandant au bon Dieu, et en me disant : « Ce sont de pauvres enfants, qui ont l’air presque aussi malheureux que nous ; et cependant ils m’ont donné tout ce qu’ils avaient, et ils pleuraient comme si nous eussions été de leur famille. » Aussi, quand j’ai vu M. Joseph à votre service, ayant été chargé de lui porter quelque argent de la part de monseigneur chez qui il avait joué du violon un autre soir,