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consuelo.

n’avais qu’une idée : c’était de servir contre la Prusse, afin de tuer le plus de prussiens que je pourrais. Ah ! saint Wenceslas, le patron de la Bohême, aurait conduit mon bras ; et je suis bien sûr qu’il n’y aurait pas eu une seule balle perdue, sortie de mon fusil ; et je me disais : peut-être la Providence permettra-t-elle que je rencontre le roi de Prusse dans quelque défilé ; et alors… fût-il cuirassé comme l’archange Michel… dussé-je le suivre comme un chien suit un loup à la piste… Mais j’ai appris que la paix était assurée pour longtemps ; et alors, ne me sentant plus de goût à rien, j’ai été trouver monseigneur le comte Hoditz pour le remercier, et le prier de ne point me présenter à l’impératrice, comme il en avait eu l’intention. Je voulais me tuer ; mais il a été si bon pour moi, et la princesse de Culmbach, sa belle-fille, à qui il avait raconté en secret toute mon histoire, m’a dit de si belles paroles sur les devoirs du chrétien, que j’ai consenti à vivre et à entrer à leur service, où je suis, en vérité, trop bien nourri et trop bien traité pour le peu d’ouvrage que j’ai à faire.

— Maintenant dis-moi, mon cher Karl, reprit Consuelo en s’essuyant les yeux, comment tu as pu me reconnaître.

— N’êtes-vous pas venue, un soir, chanter chez ma nouvelle maîtresse, madame la margrave ? Je vous vis passer tout habillée de blanc, et je vous reconnus tout de suite, bien que vous fussiez devenue une demoiselle. C’est que, voyez-vous, je ne me souviens pas beaucoup des endroits où j’ai passé, ni des noms des personnes que j’ai rencontrées ; mais pour ce qui est des figures, je ne les oublie jamais. Je commençais à faire le signe de la croix quand je vis un jeune garçon qui vous suivait, et que je reconnus pour Joseph ; et au lieu d’être votre maître, comme je l’avais vu au moment de ma délivrance (car il