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consuelo.

— Et ta fille ? dit Consuelo, qui songeait à le ramener à une idée consolante.

— Ma fille ? dit-il d’un air sombre et un peu égaré, le roi de Prusse me l’a tuée aussi.

— Comment tuée ? que dis-tu ?

— N’est-ce pas le roi de Prusse qui a tué la mère en lui causant tout ce mal ? Eh bien, l’enfant a suivi la mère. Depuis le soir où, m’ayant vu frappé au sang, garrotté et emporté par les recruteurs, toutes deux étaient restées, couchées et comme mortes, en travers du chemin, la petite avait toujours tremblé d’une grosse fièvre ; la fatigue et la misère de la route les ont achevées. Quand vous les avez rencontrées sur un pont, à l’entrée de je ne sais plus quel village d’Autriche, il y avait deux jours qu’elles n’avaient rien mangé. Vous leur avez donné de l’argent, vous leur avez appris que j’étais sauvé, vous avez tout fait pour les consoler et les guérir ; elles m’ont dit tout cela : mais il était trop tard. Elles n’ont fait qu’empirer depuis notre réunion, et au moment où nous pouvions être heureux, elles se sont en allées dans le cimetière. La terre n’était pas encore foulée sur le corps de ma femme, quand il a fallu recreuser le même endroit pour y mettre mon enfant ; et à présent, grâce au roi de Prusse, Karl est seul au monde !

— Non, mon pauvre Karl, tu n’es pas abandonné ; il te reste des amis qui s’intéresseront toujours à tes infortunes et à ton bon cœur.

— Je le sais. Oui, il y a de braves gens, et vous en êtes. Mais de quoi ai-je besoin maintenant que je n’ai plus ni femme, ni enfant, ni pays ! car je ne serai jamais en sûreté dans le mien ; ma montagne est trop bien connue de ces brigands qui sont venus m’y chercher deux fois. Aussitôt que je me suis vu seul, j’ai demandé si nous étions en guerre ou si nous y serions bientôt. Je