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qu’elle lui tendait ; du moins on m’a dit qu’il fallait vous appeler ainsi, quoique je n’aie jamais bien compris si vous étiez un monsieur ou une dame.

— En vérité ? Et d’où vient ton incertitude ?

— C’est que je vous ai vue garçon, et que depuis, quoique je vous aie bien reconnue, vous étiez devenue aussi semblable à une jeune fille que vous étiez auparavant semblable à un petit garçon. Mais cela ne fait rien : soyez ce que vous voudrez, vous m’avez rendu des services que je n’oublierai jamais ; et vous pourriez me commander de me jeter du sommet de ce pic qui est là-haut, si cela vous faisait plaisir, je ne vous le refuserais pas.

— Je ne te demande rien, mon brave Karl, que d’être heureux et de jouir de ta liberté ; car te voilà libre, et je pense que tu aimes la vie maintenant ?

— Libre, oui ! dit Karl en secouant la tête ; mais heureux… J’ai perdu ma pauvre femme ! »

Les yeux de Consuelo se remplirent de larmes, par un mouvement sympathique, en voyant les joues carrées du pauvre Karl se couvrir d’un ruisseau de pleurs.

« Ah ! dit-il en secouant sa moustache rousse, d’où les larmes dégouttaient comme la pluie d’un buisson, elle avait trop souffert, la pauvre âme ! Le chagrin de me voir enlever une seconde fois par les Prussiens, un long voyage à pied, lorsqu’elle était déjà bien malade ; ensuite la joie de me revoir, tout cela lui a causé une révolution ; et elle est morte huit jours après être arrivée à Vienne, où je la cherchais, et où, grâce à un billet de vous, elle m’avait retrouvé, avec l’aide du comte Hoditz. Ce généreux seigneur lui avait envoyé son médecin et des secours ; mais rien n’y a fait : elle était fatiguée de vivre, voyez-vous, et elle a été se reposer dans le ciel du bon Dieu.