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consuelo.

C.

Dès le second relais, Consuelo avait reconnu dans le domestique qui l’accompagnait, et qui, placé sur le siège de la voiture, payait les guides et gourmandait la lenteur des postillons, ce même heiduque qui avait annoncé le comte Hoditz, le jour où il était venu lui proposer la partie de plaisir de Roswald. Ce grand et fort garçon, qui la regardait toujours comme à la dérobée, et qui semblait partagé entre le désir et la crainte de lui parler, finit par fixer son attention ; et, un matin qu’elle déjeunait dans une auberge isolée, au pied des montagnes, le Porpora ayant été faire un tour de promenade à la chasse de quelque motif musical, en attendant que les chevaux eussent rafraîchi, elle se tourna vers ce valet, au moment où il lui présentait son café, et le regarda en face d’un air un peu sévère et irrité. Mais il fit alors une si piteuse mine, qu’elle ne put retenir un grand éclat de rire. Le soleil d’avril brillait sur la neige qui couronnait encore les monts ; et notre jeune voyageuse se sentait en belle humeur.

« Hélas ! lui dit enfin le mystérieux heiduque, votre seigneurie ne daigne donc pas me reconnaître ? Moi, je l’aurais toujours reconnue, fut-elle déguisée en turc ou en caporal prussien ; et pourtant je ne l’avais vue qu’un instant, mais quel instant dans ma vie ! »

En parlant ainsi, il posa sur la table le plateau qu’il apportait ; et, s’approchant de Consuelo, il fit gravement un grand signe de croix, mit un genou en terre, et baisa le plancher devant elle.

« Ah ! s’écria Consuelo, Karl le déserteur, n’est-ce pas ?

— Oui, signora, répondit Karl en baisant la main