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consuelo.

« Ne voyez-vous pas, lui dit-elle, que je vais être condamnée à chanter sa musique, et que vous, vous serez forcé de diriger sérieusement des cantates et peut-être même des opéras de sa façon ? Est-ce ainsi que vous me faites tenir mon vœu de rester fidèle au culte du beau ?

— Bast ! répondit le Porpora en riant, je ne ferai pas cela si gravement que tu penses ; je compte, au contraire, m’en divertir copieusement, sans que le patricien maestro s’en aperçoive le moins du monde. Faire ces choses-là sérieusement et devant un public respectable, sera en effet un blasphème et une honte ; mais il est permis de s’amuser, et l’artiste serait bien malheureux si, en gagnant sa vie, il n’avait pas le droit de rire dans sa barbe de ceux qui la lui font gagner. D’ailleurs, tu verras là ta princesse de Culmbach, que tu aimes et qui est charmante. Elle rira avec nous, quoiqu’elle ne rie guère, de la musique de son beau-père. »

Il fallut céder, faire les paquets, les emplettes nécessaires et les adieux. Joseph était au désespoir. Cependant une bonne fortune, une grande joie d’artiste venait de lui arriver et faisait un peu compensation, ou tout au-moins diversion forcée à la douleur de cette séparation. En jouant sa sérénade sous la fenêtre de l’excellent mime Bernadone, l’arlequin renommé du théâtre de la porte de Carinthie, il avait frappé d’étonnement et de sympathie cet artiste aimable et intelligent. On l’avait fait monter, on lui avait demandé de qui était ce trio agréable et original. On s’était émerveillé de sa jeunesse et de son talent. Enfin on lui avait confié, séance tenante, le poëme d’un ballet intitulé le Diable boiteux, dont il commençait à écrire la musique. Il travaillait à cette tempête qui lui coûta tant de soins, et dont le souvenir faisait rire encore le bonhomme Haydn à quatre-vingts ans. Consuelo chercha à le distraire de sa tristesse, en