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consuelo.

— Je vous promets, je vous jure tout cela solennellement, répondit Consuelo en riant avec bonhomie des exhortations du Porpora, toujours un peu piquantes en dépit de lui-même, mais auxquelles elle était parfaitement habituée. Et je fais plus, ajouta-t-elle en reprenant son sérieux : je jure que vous n’aurez jamais à vous plaindre d’un jour d’ingratitude dans ma vie.

— Ah cela ! je n’en demande pas tant ! répondit-il d’un ton amer : c’est plus que l’humaine nature ne comporte. Quand tu seras une cantatrice renommée chez toutes les nations de l’Europe, tu auras des besoins de vanité, des ambitions, des vices de cœur dont aucun grand artiste n’a jamais pu se défendre. Tu voudras du succès à tout prix. Tu ne te résigneras pas à le conquérir patiemment, ou à le risquer pour rester fidèle, soit à l’amitié, soit au culte du vrai beau. Tu céderas au joug de la mode comme ils font tous ; dans chaque ville tu chanteras la musique en faveur, sans tenir compte du mauvais goût du public ou de la cour. Enfin tu feras ton chemin et tu seras grande malgré cela, puisqu’il n’y a pas moyen de l’être autrement aux yeux du grand nombre. Pourvu que tu n’oublies pas de bien choisir et de bien chanter quand tu auras à subir le jugement d’un petit comité de vieilles têtes comme moi, et que devant le grand Hændel ou le vieux Bach, tu fasses honneur à la méthode du Porpora et à toi-même, c’est tout ce que je demande, tout ce que j’espère ! Tu vois que je ne suis pas un père égoïste, comme quelques-uns de tes flatteurs m’accusent sans doute de l’être. Je ne te demande rien qui ne soit pour ton succès et pour ta gloire.

— Et moi, je ne me soucie de rien de ce qui est pour mon avantage personnel, répondit Consuelo attendrie et affligée. Je puis me laisser emporter au milieu d’un succès par une ivresse involontaire ; mais je ne puis