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consuelo.

appui et mon père ! s’écria Consuelo en se jetant avec effusion dans les bras du Porpora, qui était si avare de tendres paroles que deux ou trois fois dans sa vie seulement il lui avait montré à cœur ouvert son amour paternel. Je puis bien faire, sans terreur et sans hésitation, le vœu de me dévouer à votre bonheur et à votre gloire, tant que j’aurai un souffle de vie.

— Mon bonheur, c’est la gloire, Consuelo, tu le sais, dit le Porpora en la pressant sur son cœur. Je n’en conçois pas d’autre. Je ne suis pas de ces vieux bourgeois allemands qui ne rêvent d’autre félicité que d’avoir leur petite fille auprès d’eux pour charger leur pipe ou pétrir leur gâteau. Je n’ai besoin ni de pantoufles, ni de tisane, Dieu merci ; et quand je n’aurai plus besoin que de cela, je ne consentirai pas à ce que tu me consacres tes jours comme tu le fais déjà avec trop de zèle maintenant. Non, ce n’est pas là le dévouement que je te demande, tu le sais bien ; celui que j’exige, c’est que tu sois franchement artiste, une grande artiste ! Me promets-tu de l’être ? de combattre cette langueur, cette irrésolution, cette sorte de dégoût que tu avais ici dans les commencements, de repousser les fleurettes de ces beaux seigneurs qui recherchent les femmes de théâtre, ceux-ci parce qu’ils se flattent d’en faire de bonnes ménagères, et qui les plantent là dès qu’ils voient en elles une vocation contraire ; ceux-là parce qu’ils sont ruinés et que le plaisir de retrouver un carrosse et une bonne table aux frais de leurs lucratives moitiés les font passer par-dessus le déshonneur attaché dans leur caste à ces sortes d’alliances ? Voyons ! me promets-tu encore de ne point te laisser tourner la tête par quelque petit ténor à voix grasse et à cheveux bouclés, comme ce drôle d’Anzoleto qui n’aura jamais de mérite que dans ses mollets, et de succès que par son impudence ?