Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/324

Cette page a été validée par deux contributeurs.
314
consuelo.

les préparatifs du départ et pour le voyage. Quand Porpora vit l’encre fraîche sur le papier, il embrassa son élève, et la salua solennellement du titre d’artiste.

« Ceci est ton jour de confirmation, lui dit-il, et s’il était en mon pouvoir de te faire prononcer des vœux, je te dicterais celui de renoncer pour toujours à l’amour et au mariage ; car te voilà prêtresse du dieu de l’harmonie ; les Muses sont vierges, et celle qui se consacre à Apollon devrait faire le serment des vestales.

— Je ne dois pas faire le serment de ne pas me marier, répondit Consuelo, quoiqu’il me semble en ce moment-ci que rien ne me serait plus facile à promettre et à tenir. Mais je puis changer d’avis, et j’aurais à me repentir alors d’un engagement que je ne saurais pas rompre.

— Tu es donc esclave de ta parole, toi ? Oui, il me semble que tu diffères en cela du reste de l’espèce humaine, et que si tu avais fait dans ta vie une promesse solennelle, tu l’aurais tenue.

— Maître, je crois avoir déjà fait mes preuves, car depuis que j’existe, j’ai toujours été sous l’empire de quelque vœu. Ma mère m’avait donné le précepte et l’exemple de cette sorte de religion qu’elle poussait jusqu’au fanatisme. Quand nous voyagions ensemble, elle avait coutume de me dire, aux approches des grandes villes : Consuelita, si je fais ici de bonnes affaires, je te prends à témoin que je fais vœu d’aller pieds nus prier pendant deux heures à la chapelle le plus en réputation de sainteté dans le pays. Et quand elle avait fait ce qu’elle appelait de bonnes affaires, la pauvre âme ! c’est-à-dire quand elle avait gagné quelques écus avec ses chansons, nous ne manquions jamais d’accomplir notre pèlerinage, quelque temps qu’il fit, et à quelque distance que fût la chapelle en vogue. Ce n’était pas de la dévotion bien